La Turquie à l’aire Néolibérale au-delà d’Erdogan

Photo : Wikipedia
Article par : Nail ARAS

Il se peut que vous ayez entendu parler de l’opération de coup d’état d’Erdogan, qui dirige le pays depuis 2003. Le 19 mars 2025 son adversaire Imamoglu, le maire d’Istanbul depuis 2019 et son rival politique pour les élections à venir, a été incarcéré.

L’histoire commence bien avant. Imamoglu a été élu dans un premier temps ; cependant le gouvernement n’a pas accepté les résultats et a annulé les élections, enfin de compte il a dû être réélu une deuxième fois. Et depuis 6 ans sa popularité n’a cessé d’augmenter. Juste avant qu’il soit déclaré officiellement le candidat de son parti pour les présidentielles, qui auront lieu en 2028, il a été incarcéré par d’autres prétextes.

Certes cette histoire nous a entièrement démoralisée et nous a démontré encore une fois à quel point les élections sont inutiles en Turquie actuelle. J’aurais bien aimé dire ce qui arrive en Turquie est vraiment exceptionnel et nous n’avons pas l’habitude de voir ce comportement ; en revanche ce qui arrive maintenant est arrivée plusieurs fois en Turquie ainsi dans d’autres pays du monde. D’une manière différente peut-être ; mais la crise politique permanente nous montre qu’il y a toujours une actualité frappante dans ce pays méditerranéen.  

Le but de ce texte n’est pas dire ce qui est évident, mais essayer de comprendre comment on en est arrivé là et comment ce président anti-démocratique a pu rester au pouvoir alors que la Turquie est un membre d’OTAN et un pays qui est soumis aux lois de la cours de droit de l’homme européen.

Comme Agathe Christie disait « L’explication la plus simple est toujours la plus probable » : Les intérêts économiques. Je rajoute à cela aussi les intérêts géopolitiques que nous allons y revenir plus tard mais concentrons-nous sur l’économie. Malgré les déclarations de certains pays de « l’ouest » qui demande la restitution de la démocratie en Turquie, derrière des portes closes les accords économiques n’ont cessé d’augmenter et rassurez-vous qu’ils sont contents de  ce gouvernement. 

Voici une comparaison entre 2002 et 2024 concernant le nombre d’entreprises de « l’ouest » en Turquie : 
 

* Les données pour 2024 sont des prévisions (les chiffres définitifs n’étant pas encore disponibles).

Ce que montre le tableau, c’est une nette augmentation du nombre d’entreprises occidentales opérant en Turquie. Il ne faut pas oublier qu’elles peuvent librement exploiter les ressources du pays. En revanche, les entrepreneurs turcs, eux, doivent d’abord obtenir un visa — de plus en plus difficile à obtenir — ne serait-ce que pour sortir du pays et envisager d’investir en Europe ou aux États-Unis. Il y a là une réelle inégalité d’opportunités.

Il y a aussi l’exemple du Canada, qui me semble particulièrement révélateur. Ce pays, souvent cité comme modèle de démocratie et engagé dans la protection de la nature sur son propre territoire, adopte pourtant une toute autre attitude lorsqu’il s’agit de la Turquie. Là-bas, certaines entreprises canadiennes n’hésitent pas à utiliser du cyanure pour extraire de l’or, sans réel encadrement ni respect de l’environnement local. Le tableau ci-dessous montre que, dans trois régions différentes de Turquie, ces sociétés minières canadiennes ont recours à cette substance hautement toxique pour exploiter les ressources aurifères du pays.

C’est un exemple flagrant de cette hypocrisie : défendre l’environnement chez soi, mais l’ignorer ailleurs.

Le troisième point flagrant concerne la baisse significative du taux de syndicalisation, ainsi que la dégradation progressive des conditions de travail. Il convient également de préciser que cette analyse ne prend pas en compte les syndicats collaborant étroitement avec l’État, ce qui fausse encore davantage la réalité du terrain. Cette situation profite, en fin de compte, aux multinationales, qui peuvent exploiter les travailleurs sans protection légale dans des pays autres que le leur. C’est le cas, par exemple, de Flormar, filiale d’Yves Rocher, où, en 2019, 127 femmes ont été licenciées pour s’être syndiquées.

On a beau critiquer Erdogan de tous les côtés, en réalité l’Occident a encore besoin de lui pour ses projets géopolitiques en Syrie. Avec la fausse « révolution » djihadiste qu’on a soutenue, Jolani s’est retrouvé félicité par l’Europe et les États-Unis, alors que c’est un combattant djihadiste appuyé par la Turquie. L’idée, c’est de garder cette région sous influence occidentale, même si c’est au prix de conflits sans fin. Et, personne ne va faire attention aux massacres des alawites pour couronner cette belle « révolution »[iii].  C’est dans ce contexte que la Turquie reprend un rôle clé : malgré la répression et les atteintes aux droits de l’homme, les puissances occidentales préfèrent continuer à collaborer avec Erdogan pour garantir leurs intérêts et remodeler la région selon leurs besoins.

Certes Erdogan est un dictateur mais aucun dictateur ne peut rester au pouvoir sans la dictature de l’argent. Donc, l’hypocrisie est au top, d’un côté on dit Erdogan est un dictateur mais d’un autre côté on continue à travailler avec lui sans cesser[iv] les liens économiques et on donne un peu d’argent pour qu’il garde les réfugies chez lui[v].  Avec un peu d’argent, nous l’Europe, évite de prendre la responsabilité de ses choix stratégiques en Afrique et dans le proche orient. On ne peut pas fermer les yeux sur le fait que derrière ces grands discours sur la démocratie et les droits de l’homme, il y a la réalité brutale vécue par les réfugiés syriens en Turquie. Les articles cités montrent clairement que même dans des camps présentés comme « exemplaires », des enfants syriens ont été victimes d’agressions sexuelles ou exploités comme main-d’œuvre bon marché. Malheureusement, l’Europe, au lieu d’assumer ses responsabilités, préfère verser des milliards à Erdogan pour maintenir ces réfugiés hors de ses frontières.[vi]

Ce que nous demandons, ce n’est pas de la pitié pour la Turquie, ni que l’on considère que « c’est normal dans ces pays du Moyen-Orient, il y a toujours des problèmes ». Nous souhaitons simplement attirer l’attention sur la responsabilité que portent les gouvernements occidentaux. À nos yeux, la meilleure manière pour le peuple français de faire preuve de solidarité envers les populations en Turquie, c’est d’interpeller son propre gouvernement afin qu’il cesse toute forme de collaboration avec un pouvoir de plus en plus autoritaire.

[i] https://www.invest.gov.tr/tr/library/publications/sayfalar/default.aspx#DeltaPlaceHolderMain

[ii] Population :

https://www.nufusu.com/ulke/turkiye-nufusu​

https://tr.wikipedia.org/wiki/T%C3%BCrkiye_%C4%B0statistik_Kurumu​

Données sur les ouvriers et syndicats :

https://www.csgb.gov.tr

​https://www.tuik.gov.tr

https://www.marianne.net/monde/turquie-le-combat-de-127-salaries-vires-par-une-filiale-d-yves-rocher-pour-avoir-soutenu-un

[iii] https://www.leperepeinard.com/articles/syrie-jolani-et-hts-menent-une-guerre-dextermination-loccident-detourne-le-regard/

[iv] https://www.bloomberg.com/news/articles/2025-03-28/turkey-s-jailed-mayor-criticizes-west-for-silence-on-erdogan?utm_source=twitter&utm_campaign=socialflow-organic&utm_medium=social&utm_content=business&cmpid=socialflow-twitter-business&embedded-checkout=true

[v] https://www.vie-publique.fr/en-bref/294026-ue-aide-europeenne-pour-les-refugies-en-turquie-quel-bilan#:~:text=Un%20montant%20de%206%20milliards,pour%20la%20p%C3%A9riode%202021%2D202

[vi] https://www.europe1.fr/international/turquie-des-enfants-syriens-violes-dans-un-camp-de-refugies-exemplaire-2743897